1. Problématiques à l’origine du dispositif Ludo-pédagogique
L’objectif de l’activité mise en place était de renouveler le mode de transmission pédagogique pour l’ensemble du module Thématique métier IR, qui consiste en une introduction à l’algorithmique à tous les étudiants de 1ere année en semestre 2.
L’enseignement de ce module depuis plusieurs années a permis de mettre à jour les difficultés suivantes :
- Très importante hétérogénéité du public
- Option suivie quel que soit le souhait de poursuite d’étude en cycle ingénieur
- Blocages et refus avérés d’un bon tiers des étudiants concernant l’apprentissage de l’algorithmique.
- Individualisme affirmé limitant le travail en groupe
Un certain nombre d’adaptations avaient été mises en place les années précédentes :
- Liens avec la nouvelle certification PIX (le département Génie Mécanique et Productique a été pionnier dès la mise en place de la certification): thème programmer,
- Application sur ordinateur avec Scilab,
- Constitution de groupes fournissant un compromis entre les niveaux et les affinités entre étudiants,
Ces changements ont juste permis de circonvenir les difficultés constatées, en aboutissant à un résultat mitigé pour les nombreux étudiants étant soit de bon niveau et motivés soit débutants et en refus, pour une dépense d’énergie enseignante insatisfaisante.
La pandémie est alors survenue et a perturbé en profondeur les 2 années académiques de 2019 à 2021, par exemple, je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer les étudiants recrutés en mars 2020.
Le confinement, et dans une moindre mesure l’enseignement hybride par son aspect distanciel, a en effet grandement distendu la prémisse du précepte suivant : « Il ne suffit pas d’aller à l’école pour être un écolier authentique » [8]. Force est de constater la similitude avec nos étudiants de 1ère année postbac.
Le semestre de printemps 2020 a été l’occasion pour moi de découvrir le fonctionnement de DroidCam (pour un usage similaire à la tablette graphique, par le biais du téléphone portable), mais cela n’a pas réussi à compenser la difficulté majeure d’interaction pédagogique à travers un mur Teams d’initiales des étudiants (sans vidéo et avec peu de retours audios pour préserver la qualité de flux du canal de communication)
1.1 Reformuler l’offre pédagogique de ce module :
En 2021, j’ai alors souhaité repenser entièrement l’approche du module, tout en restant dans le cadre de la fiche matières définie avec Vincent Froger, responsable des programmes scientifiques à l’ESAIP.
Abandonner une vision académique stricte de la fiche matière, et préparer les séances sous forme d’ateliers, en individuel, ou bien en groupes, sur une ou plusieurs séances.
1.2 Un socle académique indispensable :
Fournir un socle académique minimum, rapidement applicable et effectivement appliqué à la programmation (sur Scilab auparavant, et en Python pour 2020-2021), en sélectionnant les tutoriels existants sur Internet (sites SNT par exemple) qui sachent rassurer les débutants récalcitrants tout en répondant à l’appétit des programmeurs autodidactes éclairés.
2. Recherche de références
La quête de l’anneau appartient à la famille réélargie [2] des Serious Game en proposant l’étude d’un algorithme emblématique du processus informatique d’optimisation en immergeant l’apprenant-joueur [6] dans une aventure épique.
Les outils numériques utilisés ici (graphe en ligne, programmation en python, logiciel de bureautique) ne forment certes pas la partie la plus ludique par rapport à la définition communément admise du Serious Game [1]. Ils ont toutefois la même fonction de portes d’entrée que les patterns proposés par Julian Alvarez, indiquant à l’apprenant les défis courts et ciblés qu’il aura à réussir, pour continuer l’aventure pour lui-même, mais aussi en tant que membre de l’équipe.
Remporter de petits succès peut alors amener des étudiants refusant, par crainte ou par ignorance, de s’impliquer [4], à (re)touver le plaisir de suivre le chemin de l’apprentissage proposé par l’enseignant.
Pour la partie algorithmique, le choix s’est porté sur la problématique qui en théorie des graphes consiste à partir d’un sommet du graphe désigné comme « Départ » et à parvenir à un sommet désigné comme « Arrivée » en passant par le plus court chemin [5] (ici la durée de trajet la plus courte).
Quant à l’univers de jeu, J.R R Tolkien a savamment détaillé le cheminement des membres de la compagnie de l’anneau le long des Terres du Milieu dans le récit du Seigneur des Anneaux, paru en 1954 [7]
3. Mise en œuvre
3.1 Les équipes en « présence » dont 50% en non présentiel
3 expérimentations ont concerné près de 90 étudiants dont 30 alternants en 4eme année de la filière Numérique (afin de « calibrer » la difficulté et la durée), puis 55 étudiants de 1ere année, tous répartis en groupes mixtes (en termes de présence / distance) de 2 à 3 étudiants durant 2 séances (3 heures) avec un temps de travail personnel préalable, inter-séance, ou après la 2eme séance suivant l’expérimentation.
3.2 L’évaluation des équipes d’apprenants-joueurs se fait en 3 phases :
- S’assurer, par le jeu, une immersion réussie dans le contexte ludique,
- Vérifier, dans un deuxième temps, l’acquisition des outils académiques,
- pour enfin joindre « l’utile au ludique » en donnant la solution de l’énigme initiale.
3.3 Le côté « sérieux » du jeu : technologique et professionnalisant
L’informaticien néerlandais Edsger Dijkstra [3] a proposé un algorithme qui est appliqué
- Dans le domaine du transport (le poids des arcs pouvant être la distance ou bien le temps de trajet, la quantité de carburant consommée, ou encore le coût du péage)
- Mais aussi pour définir le parcours le plus efficace des informations transmises dans le cadre de protocoles de routages spécifiques
3.4 Le plateau de jeu : La carte des terres du milieu (phase1)
J’ai conçu la carte de la Quête de l’anneau, comme un graphe reliant des lieux (sommets) par des arcs (littéralement les chemins) valués en nombres de jours de trajet.
Chaque information est conforme au livre, au film ou à un compromis des deux.
3.5 Un deck de cartes pour valuer les arcs du graphe (phase1)
Les équipes d’étudiants disposent d’un ensemble d’une quinzaine d’évènements pour la présente version, présentés sous la forme d’un deck d’énigmes ou de cartes modificatrices de durée.
L’objectif de cette phase de jeu consiste à fournir la durée finale de chaque arc.
3.6 Le socle académique : Algèbre, Bureautique avancée, Algorithmique (phase 2)
Durant cette phase, les équipes d’étudiants doivent prouver qu’elles maîtrisent (en groupe, et pas nécessairement individuellement) tous les aspects du socle académique nécessaire pour achever la dernière phase de l’activité.
Pour cela, plusieurs tutoriels leur sont fournis afin d’acquérir en auto-formation des outils algébriques (sur feuille), bureautiques ou en ligne ainsi que des méthodes mathématiques et algorithmiques
3.7 Quel personnage est arrivé le premier en terres du Mordor ? en combien de jours ? (phase 3)
La dernière phase, la plus productive, voit les étudiants exploiter toutes les informations glanées jusque-là.
L’objectif principal est simple, répondre à la question initiale : Qui est arrivé le premier ?
L’objectif secondaire étant de pouvoir vérifier les étapes intermédiaires en obtenant le même résultat par 3 voies de raisonnements, méthodes mathématiques et techniques informatiques très différentes comme indiquées ci-dessous :
4. Appréciation du modèle par les élèves
Le retour des étudiants montre que 85 à 97% d’entre eux (en prenant l’écart sur les 3 expérimentations) ont apprécié cette activité :
Les éléments positifs qui reviennent le plus souvent sont : l’originalité, l’aspect ludique permettant d’introduire plus facilement les éléments académiques incontournables de l’activité, un grand intérêt pour les tutoriels proposés, le travail en groupe, et la possibilité d’arriver à la solution par différentes voies
Des apprenants alternants de 4eme année rapportent avoir découvert des outils professionnellement simples à mettre en œuvre, ce qui est un résultat positif non recherché, mais professionnellement très instructif un an avant leur arrivée sur le marché du travail.
Les éléments négatifs relevés sont :
- La participation en distanciel qui a été évoquée comme élément majeur de ralentissement du travail et de perturbation de la communication au sein des équipes, malgré les tutoriels vidéo et documentaires postés sur Moodle
- Ainsi que le manque de temps et le stress généré par l’échéance individuellement et entre membres d’une même équipe.
5. Conclusions personnelles vis-à-vis de l’expérimentation
Les nombreux étudiants ayant indiqué leur situation de participation en distanciel, ont probablement souhaité que cela soit pris en compte par l’enseignant lors de l’évaluation des équipes, mais ont aussi voulu signifier la difficulté qui s’est présentée à eux pour pallier les défauts de communication.
A noter qu’exceptionnellement, les étudiants avaient l’autorisation d’utiliser :
- Le téléphone portable (communication écrite et orale ; mais aussi photo, scan de contenus, notamment pour les poster pour évaluation),
- Ainsi que le casque et écouteurs (afin de s’isoler pour regarder un tutoriel vidéo ou communiquer avec les membres de l’équipe en distanciel)
Le deuxième point négatif cité pourrait être fortement atténué :
- En ajoutant une 3eme séance,
- En proposant les tutoriels sous forme de classe inversée (modules d’auto-formation + capsules vidéo) préalablement à la 1ere séance, ce qui pourra notablement diminuer la pression sur la fin de l’activité et son évaluation associée.
Les ressources fournies rejoindraient la bande-annonce de la trilogie du seigneur des anneaux dont j’avais fourni le lien une semaine avant la double séance de 3h pour les étudiants de 1ère année, et qui avait permis aux étudiants de « commencer son œuvre de compréhension par une saisie intuitive de l’objet » [2]
Cette technique a montré une nette amélioration dans le processus d’appropriation du contexte ludique de l’activité par rapport à la 1ère expérimentation, qui a avait été organisée sans préalable.
Christophe Béchade
Intervenant ESAIP depuis 2016, Enseignant associé IUT Angers, Consultant CéSaM
Bibliographie
[1] Alvarez, J., & Djaouti, D. (2010). Introduction au Serious Game. Questions théoriques.
[2] Angers, P. (1974). Le projet éducatif de l’étudiant et les objectifs des programmes. Prospectives.
[3] Corti, K. (2007, octobre 16). Opinion: ‘Serious Games – Are We Really A Community?’ . Gamasutra: https://www.gamasutra.com/view/news/106784/Opinion_Serious_Games__Are_We_Really_A_Community.php
[4] Dijkstra, E. W. (1959). A note on two problems in connexion with graphs,.
[5] Fave-Bonnet, M.-F., Frenay, M., NoëL, B., Parmentier, P., & Romainville, M. (1999). L’étudiant-apprenant. Grilles de lecture pour l’enseignant universitaire. Revue française de pédagogie.
[6] Hélary, J.-M. (s.d.). Le plus court chemin. Récupéré sur Interstices: https://interstices.info/le-plus-court-chemin/
[7] Marne, B., Huynh-Kim-Bang, B., & Labat, J.-M. (2011). Articuler motivation et apprentis-sage grâce aux facettes du jeu sérieux. IAH 2011 – Conférence sur les Environnements Informatiquespour l’Apprentissage Humain.
[8] Tolkien, J. (1954). The Fellowship of the Ring. Allen & Unwin.
[9] Verdier-Gibello, M.-L. (2003). De l’appréhension cognitive au plaisir d’apprendre. Enfances & Psy.