L’expérimentation présentée dans cet article s’inscrit dans une démarche de ludification des enseignements en mathématiques et vise à explorer la piste du badge en tant que facteur motivationnel d’engagement pour les étudiants.
Introduction / Contexte général
La baisse de motivation des étudiants de cycle préparatoire de l’Esaip, qui bénéficient pourtant d’un environnement éducatif favorable avec la mise en place de séances de tutorat et de soutien, limite la portée de nos activités d’apprentissage et impacte leurs résultats (la corrélation entre résultats et motivation est tangible et quantifiable [1] : la performance scolaire s’accroît lorsque les étudiants sont intrinsèquement motivés et décroît avec la perte de cette motivation). Ainsi, la baisse de motivation, documentée dans l’enseignement supérieur de manière générale [2], se ressent également dans nos classes avec des étudiants souvent très motivés en démarrant leur formation mais se désengageant progressivement, et parfois rapidement, en avançant dans l’année. Nous avons donc décidé de mener cette expérimentation en première année de cycle Cadre Intermédiaire, lors du second semestre.
L’un des facteurs pouvant impacter la motivation des étudiants est le type des activités pédagogiques proposées. Ici, nous avons choisi une autre approche en misant sur la ludification d’activités pré-existantes. Cette dernière emprunte des mécanismes et leviers des jeux et notamment des jeux vidéo (dont nos étudiants sont friands) pour favoriser leur engagement dans les activités proposées. Nous avons ainsi développé un système de « récompenses de progression dans une quête » ou de « quête achevée » (Une quête est la recherche d’une récompense spécifique par contraste avec le fait de simplement gagner à un jeu. (M.-L. Ryan, “Narrative Across Media: The Languages of Storytelling”, Lincoln, U of Nebraska Press (2004))), matérialisées par des badges créés sur le modèle des badges ouverts (Open Badges).
Il est à noter que la finalité généralement admise de ces derniers, à savoir la valorisation de compétences informelles, a été détournée vers une validation de progression et d’atteinte d’un niveau d’aptitudes ou de compétences du syllabus. En ce sens, notre expérimentation s’inscrit également dans la transformation de nos enseignements vers une pédagogie par compétences.
Partie 1 : Création du dispositif
Prenant appui sur différentes études menées sur le sujet et les différents retours positifs des étudiants qui y sont relayés [3],[4],[5], nous avons décidé de mener notre expérimentation sur l’utilisation des badges dans l’apprentissage des Mathématiques, au sein du campus d’Aix-en-Provence auprès des 22 étudiants de la promotion ING 1 (première année de cycle Cadre Intermédiaire). Le choix d’étudiants de première année repose sur le fait que, sur ce niveau, la validation des acquis se fait en contrôle continu et que, comme nous allons le décrire, la structure du badge ainsi que son attribution sont justement centrées sur cette modalité pédagogique.
Nous avons ainsi ciblé trois matières du second semestre : Analyse Mathématique 2, Calculs Algébriques 2 et Modélisation scientifique. Chacune représente chaque année un défi pour les étudiants car les différentes notions étudiées, bien qu’en continuité avec le premier semestre, s’éloignent de ce qu’ils ont pu voir au lycée et sont assez difficiles théoriquement. Elles nécessitent assiduité et travail régulier. Pour chacune, nous avons mis en avant certaines aptitudes et compétences parmi celles utilisées et approfondies dès la deuxième année et nous avons réalisés par la suite les badges associés (Tableau 1).
Partie 2 : Conception des badges (conception technique)
La conception de ces badges s’est appuyée sur la méthodologie de création des badges ouverts [6] et notamment la réflexion sur les différentes catégories d’informations généralement embarquées. Effectivement, toutes les étapes en ont été respectées de façon à pouvoir en faire un modèle informatisé dès que possible si l’expérience s’avérait concluante.
Remarque : dans le cadre d’une digitalisation, toutes les catégories représentent autant de méta-données à embarquer dans le badge. Dans ce cadre, il faudrait également ajouter le nom du bénéficiaire, la date de validation et, éventuellement, une validité temporelle, l’identité de l’entité délivrant le badge et une méthode de vérification d’attribution…
Chaque notion, et donc chaque badge, a ainsi fait l’objet d’une analyse détaillée concernant plusieurs catégories comme cela peut être visualisé ci-dessous (Figure 1).
Intitulé et description technique de la compétence visée
• le titre du badge correspond à l’aptitude ou à la compétence cible (l’objet de la quête) sous forme d’une assertion : « Je maîtrise… »,
• le champ de cette aptitude ou compétence : disciplinaire, transverse, ou social,
• son type : conceptuel (connaissance) ou technique (opérationnel),
Remarque : les compétences comportementales n’ont pas été envisagées pour le moment mais pourraient éventuellement faire l’objet d’un badge transversal à l’issue d’un travail de groupe, par exemple. Avec une précision sur le niveau : spécifique à la discipline, transposable à d’autres contextes ou adaptatif.
• le niveau dans le cadre d’un badge attestant d’une progression dans son acquisition ou d’un niveau de maîtrise : novice, débutant ou confirmé, par exemple.
Détails de l’aptitude/compétence sur différents niveaux de granularité
• la description complète des notions validées par le badge,
• le détail des sous-compétences et micro-compétences nécessaires à la reconnaissance et à la validation de l’aptitude ou de la compétence (le chemin menant vers l’objet de quête),
• les critères de réussite et d’attribution du badge avec la calibration des attendus, de la difficulté des situations donnant lieu à la mise en œuvre de l’aptitude ou de la compétence (les épreuves rencontrées pour atteindre l’objet de quête).
Le découpage en micro-compétences et la détermination des critères de réussite nous ont demandé le plus de discussion et de travail bibliographique (afin de nous inspirer de certains systèmes universitaires [7]).
Effectivement, pour pouvoir attribuer le badge, l’enseignant doit évaluer si « la quête est terminée » et sinon, quel est l’écart entre l’objectif d’acquisition de la notion visée (l’objectif de la « quête ») et la situation de l’étudiant vis-à-vis de cette finalité. De fait, les critères doivent être clairement définis et finement calibrés pour que l’attribution du badge corresponde à une évaluation efficace de l’aptitude ou de la compétence.
Remarque : il est à noter que cette évaluation ne se substitue pas aux évaluations classiques mais les complète. La validation des critères d’attribution peut se faire en utilisant les évaluations déjà effectuées, sur le modèle de l’évaluation par compétence, en compilant simplement des sous- et micro-compétences déjà évaluées.
Ainsi, dans son utilisation, le badge s’avère être un outil de différenciation efficace, permettant de cibler les sous-compétences à travailler pour finalement l’obtenir.
La création visuelle du badge, quant à elle, n’a posé aucun problème : on peut fabriquer les badges avec un logiciel basique de conception ou utiliser l’une des nombreuses applications en ligne permettant de générer des fichiers image au format jpg (ou svg dans le cadre de la digitalisation du concept) en s’appuyant sur des modèles attrayants [8].
Remarque : une harmonisation des différents badges en suivant la charte graphique de l’école constitue un point d’évolution et d’amélioration du concept.
Partie 3 : Mise en place de l’expérimentation et conclusion
Dans sa mise en œuvre, cette expérimentation va dans le sens de la transition vers une pédagogie par compétences dans laquelle notre école s’engage. Elle y ajoute la ludification.
Comme pour tout nouveau dispositif en lien avec l’innovation pédagogique, une des premières difficultés a été de se lancer et d’essayer de ne rien oublier ou du moins de penser à tous les points importants et parfois nous avons dû ajouter des règles ou notions en cours de route.
Hormis ce point, nous avons rencontré peu d’écueils. Nous avons bien veillé à expliquer notre démarche aux étudiants afin qu’ils puissent en comprendre les tenants et aboutissants. Les badges et leurs critères d’attribution leur ont ainsi été explicitement définis et présentés en début de second semestre de façon à pouvoir être utilisés en toute connaissance de cause. Une fois le scénario pédagogique assimilé, l’approche a suscité beaucoup d’intérêt et ils se sont concentrés sur les sous-compétences à acquérir afin de valider et obtenir les badges. Certains se sont vraiment pris au jeu ajoutant même l’aspect compétitif (pas forcément désiré) avec le nombre de badges obtenus.
La détermination des degrés d’adhésion au concept et de motivation reste non quantifiée à ce jour. Une étude est en préparation pour la rentrée 2022 qui se poursuivra avec les étudiants entrants, tout au long de la première année de cycle préparatoire. Nous pouvons cependant, avec la totalité des badges proposés attribuée, dégager une impression globale positive. Les retours informels sur l’expérimentation sont très bons : ils ont permis de motiver les étudiants à travailler plus régulièrement afin de réaliser les « quêtes » les plus complexes (correspondant aux badges faisant appel au plus de micro-compétences) et d’obtenir ces récompenses qui sont « plus que des bons points ». Ils sont très fiers de les avoir. La plupart d’entre eux commencent déjà à les afficher sur leur CV. Et c’est bien là un enjeu qu’ils ont compris : une fois digitalisés, ces badges pourront être cumulés (dans un « sac à badges » ou « e-portfolio ») et partagés, sur un CV, par mails ou sur les réseaux sociaux (personnels ou professionnels qui les reconnaissent déjà).
Cette approche n’était qu’une expérimentation dans les différentes matières mathématiques enseignées au sein d’un campus et d’un seul groupe de classe mais il pourrait être intéressant de la développer sur plusieurs niveaux de classes et de comparer la dynamique pédagogique éventuellement en faisant une confrontation avant et après l’utilisation des badges.
Nicolas Michel
Pilote cycle préparatoire anglophone Campus Méditerranée
Enseignant Chercheur en Sciences à l’ESAIP
Mickaël Bosco
Pilote cycle préparatoire Campus Méditerranée
Enseignant Chercheur en Mathématiques à l’ESAIP