Les étudiants mènent l’enquête : introduction à la logique

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1. Problématique à l’origine du dispositif ludo-pédagogique :

Le module d’enseignement concerné par l’activité présentée ici est le module de thématique métier option Numérique, correspondant au cursus ingénieur IR.

Durant les années d’enseignement en présentiel, j’avais déjà rencontré les difficultés concernant une hétérogénéité très importante de la promotion, et surtout, des situations de blocage et de refus affirmés.

le module d’enesiegnement concerné par l’atiité présentée ici est le module de thématique métier option numérique, corresponsant au cursus ingénieur IR.

Durant les années d’enseignement en présentiel,j’avais déjà rencontrer les difficultés concernant une hétérogénéité tres important de la promotion

1.1 L’hétérogénéité :

Enseignant aussi les mathématiques pour ces mêmes étudiants, j’ai constaté une hétérogénéité plus importante dans le domaine du numérique qu’en mathématiques pour ce public.

Une des raisons que j’avance pourrait être que l’informatique en général, et l’algorithmique en particulier n’est pas un critère de passage d’une année à la suivante durant le cycle secondaire général ou technologique.

Cela constituerait alors un frein sur la motivation des lycéens à se donner une chance de découvrir (si l’on est novice), ou bien d’approfondir (si l’on a passé les débuts toujours compliqués d’une nouvelle matière) l’algorithmique, quand d’autres matières impacteront indéniablement plus la moyenne globale.

1.2 Mixité du public sur un module spécifiquement Numérique (jusqu’à l’année académique 2020-2021) :

Les étudiants de l’ESAIP issus du Lycée entament un cycle préparatoire de 2 ans, pour se spécialiser sur l’un des deux parcours ingénieurs :

  • Numérique (IR),
  • Gestion des Risques et Environnement (SEP) :

Si l’intention de permettre aux futurs SEP de pouvoir découvrir l’algorithmique est tout à fait louable, les statistiques ont montré que peu d’étudiants de 1ere année changeaient de décision quant à leur poursuite d’étude en cycle ingénieur.
D’où un sentiment d’ « inutilité », du point de vue d’un grand nombre d’étudiants parmi ceux qui se destinent à la filière SEP, d’investir du temps et de l’énergie dans un module d’introduction à l’algorithmique.
A noter qu’à partir de l’année académique 2021-2022, le module de thématique métier IR sera réservé aux futurs ingénieurs de la filière Numérique, ce qui résoudra à l’avenir, le problème développé dans ce paragraphe.

1.3 Blocages et refus avérés :

L’ensemble des freins cités précédemment a généré une proportion non négligeable d’étudiants

  • Peu ou pas motivés,
  • Tout en étant à peu près convaincus de ses choix,
  • Ayant une capacité d’inertie préjudiciable à l’ambiance de l’ensemble de la promotion

1.4. Effets du confinement et de la distanciation :

Le confinement vécu en 2020, correspondant à une distanciation à 100%, puis l’enseignement hybride assimilable à une distanciation sur 50% des séances, ont durablement altéré le lien pédagogique avec un bon tiers de la promotion concernant :

  • La présence effective : comment vérifier une présence continue et assidue ?
  • La motivation des étudiants : comment vérifier une action individuelle productive ? (Comme une sorte « d’obligation de moyens » qu’un enseignant pourrait instaurer comme « contrat pédagogique » avec ses étudiants)
  • Ainsi que l’entraide des apprenants pendant les séances de cours (qui a paradoxalement pu subsister durant le 100% distanciel par le biais de canaux de communication comme Discord notamment, parallèlement aux séances pédagogiques sur Teams)

Même si les résultats étaient satisfaisants, en termes de moyenne individuelle et collective, il est probable que les évaluations en distanciel sur un module étudié à 100% en distanciel, ont une valeur toute relative pour un nombre non négligeable d’étudiants en termes d’interprétation de la compétence acquise à élaborer un raisonnement algorithmique.

2. Réponse mi-sérieuse mi-ludique à la problématique

2.1 La logique c’est du sérieux !

L’activité ludo-pédagogique proposée ici concerne les fondamentaux du raisonnement logique, incontournable dans un module d’initiation à la culture algorithmique.

La logique étant universelle principalement pour ceux d’entre nous qui savent à quel point elle est maltraitée (ce qui fait la joie des quiproquos dans les scénarios et les dialogues cinématographiques), n’est pas la partie la plus facile du module de thématique métier IR à comprendre et donc à enseigner.

Elle rapproche beaucoup les étudiants de situations personnelles pas forcément bien vécus en modules de mathématiques, notamment en Analyse mathématiques qui alterne avec peu de concessions les phases de raisonnement scrupuleux et argumenté avec des séquences calculatoires ne pouvant souffrir la moindre erreur de calcul.

D’où l’idée de concevoir mon activité en deux temps :

1. Un temps important d’apprentissage en groupe, par ateliers,

2. Avant de transformer nos étudiants en apprenants-joueurs immergés dans un jeu sérieux d’enquête très proche d’un Serious Escape Game

2.2 Conception d’un scénario de jeu d’enquête

Comme l’indiquent Rachel Bucaille et Fabien Levenq, [1] « un escape game ou jeu d’évasion est un jeu d’aventure scénarisé basé sur des énigmes à résoudre en temps limité. ». La deuxième séance est totalement dédiée à l’enquête policière.

Les étudiants sont prévenus qu’ils auront un temps limité pour résoudre chaque énigme, et que le jeu pédagogique [3] proposé ici fait appel au raisonnement logique qu’ils ont eu la possibilité de se réapproprier durant la 1ère séance.

La scénarisation des évènements, ainsi que mise en scène textuelle ont pour but d’immerger les équipes dans les conditions similaires à un escape game tels que ceux créés par les éditeurs de jeux de société, comme par exemple le jeu UNLOCK [7]:

  • Mise à disposition de matériel (cartes évènement, outils numériques : Solveur),
  • Aspect coopératif du jeu.

3. Public et contexte de l’enquête :

En termes d’organisation, les 55 étudiants de 1ère année ont travaillé en équipes de 2 à 3 membres, durant 2 séances de cours + l’inter-séance sous forme de travail en autonomie, ce qui fait 3h encadrées + 1 à 2 heure(s) environ de travail personnel..

4. Mise en œuvre de l’activité :

4.1 Première séance : Des ateliers de raisonnements appliqués à des cas concrets

Des tutoriels (vidéos sur internet, documents conçus pour l’occasion) ont jalonné l’ensemble de la séance 1.

Ils fournissaient toute la matière (explications, exemples, solutions) aux équipes d’étudiants durant leur progression le long des ateliers proposés.

L’ensemble du processus s’est déroulé de manière autonome jusqu’à que les équipes (mais pas nécessairement les individus) obtiennent le niveau requis de compréhension, modélisation et résolution d’un problème concret.

Voici la liste des concepts qui ont jalonné cette séance d’apprentissages :

  • Les connecteurs logiques (pour exemple, parmi bien d’autres : différence entre le Ou exclusif et le Ou inclusif, ou l’ambiguïté du « fromage ou dessert » sur un menu de restaurant)
  • Le syllogisme (qui fait, par transitivité / relation de Chasles, de Platon un mortel) a permis d’introduire le sorite de Lewis Carroll [2] (qui est un polysyllogisme sans hypothèse de départ)
  • La modélisation des assertions logique sous forme de tables de vérité ou de tableaux de Karnaugh [5], dans le but d’obtenir une preuve irréfutable de l’équivalence de 2 raisonnements. (Très utile pour prouver aux étudiants que le fait « qu’il n’y a pas de fumée sans feu » est équivalent au fait « qu’il n’y a pas de fumée, ou bien il y a du feu »)
  • Conversion d’un problème de logique pour être modélisé sous forme de programme linéaire de variables binaires, prêt à être vérifié en termes de satisfiabilité (pour simplifier, cela signifie qu’il existe une combinaison de variables binaires qui vérifie toutes les contraintes)
  • Modélisation et résolution d’un arbre de résolution hypothético-déductive, ce qui revient à « résoudre » un Sorite de Lewis Carroll, qui s’articulerait sur une hypothèse initiale (voir ci-dessous à gauche)
  • Résolution d’un programme linéaire de variables binaires [4], modélisé sur tableur et résolu avec le solveur (voir ci-dessous à droite)

4.2 Inter-séance :

Les équipes d’étudiants avaient un cas concret à comprendre, modéliser et convertir, pour enfin obtenir la résolution de 2 manières (comme illustré ci-dessus), et poster le tout avant la séance suivante.

4.3 Séance 2 : Que l’enquête commence ! Une simulation en temps contraint

L’esprit de cette enquête revient à Yvon L’hospitalier [6] qui a initié l’idée à de jeunes étudiants de l’Institut de Mathématiques Appliquées (UCO – Angers) que la « théorie des jeux » pouvait être un cours sérieux et des plus fascinants.

Pour revenir à l’enquête, les séquences d’énigmes qui se sont succédées présentent toutes le modèle illustré ci-dessous : évènement déclencheur, texte à convertir, actions à mettre en œuvre, et à répartir entre les membres de l’équipe :

La flexibilité du scénario conçu a permis de modifier le déroulement du jeu prévu initialement sans que ni l’activité ne s’en trouve perturbée, ni les étudiants ne s’aperçoivent que 3 évènements sur 6, seulement, ont pu être mis en œuvre.

5. Retours des étudiants

90% des étudiants (39 réponses sur 55 étudiants susceptibles de participer) estiment absolument nécessaire la 1ère séance, en demandant plus d’explication préalable, mais aussi plus d’assistance ponctuelles, ce qui va à l’encontre de mon souhait de rendre les équipes autonomes durant les 2 séances en temps réel.

La 2eme partie a été apprécié par 82% des participants au sondage, qui ont exprimé leur satisfaction concernant la qualité du script, l’humour sous-jacent, l’aspect concret et ludique, la pertinence de l’enquête par rapport à la 1ere séance d’apprentissage.

Les avis négatifs concernent en grande majorité, le manque de temps, et la difficulté qui subsiste liée à des instructions fournies pas assez claires.

Je relèverai 2 groupes de retours qui vont alimenter mes réflexions sur les améliorations à apporter à l’expérience :

  1. Certains étudiants semblent penser que les phrases (que j’avais tirées de la logique propositionnelle) pouvaient être interprétées de différentes manières. Nous avons eu des échanges à ce propos durant les 2 séances, et force est de constater que je n’ai pas réussi à tous les convaincre à l’issue de cette activité.
  2. D’autres étudiants ont compris que l’enquête portait moins sur la désignation des coupables que sur l’analyse de la construction de chaque phrase, ce qui revient à décrire un langage formel comme aisément convertible en logique propositionnelle, ce qui dépasse les objectifs initiaux.

6. Bilan et perspectives

Les paramètres de difficulté et de temps limité qui font tout l’attrait des jeux d’escape game, semblent moins bien acceptés dans le contexte académique, et la perspective d’une évaluation.

Enfin même si la participation en distanciel des étudiants en enseignement hybride a effectivement été un frein, la participation effective a pu être maintenue grâce à :

  • La responsabilité de chacun des équipiers à la réussite de l’équipe, modélisée par l’évaluation des retours des équipes d’enquêteurs pour chacun des évènements survenus durant l’enquête
  • La possibilité de répartir des tâches, liées à des méthodes complémentaires, et de différentes difficultés

L’activité proposée a manifestement permis de réunir de meilleures conditions afin que chacun participe selon sa motivation et son niveau de compétence.

L’intérêt indéniable des étudiants pour l’expérience d’enquête m’amène à prévoir les dispositifs suivants :

Répartir l’activité, sur 3 séances (au lieu des 2 séances actuelles) + les inter-séances associés afin de :

  • Développer la 1ere séquence d’ateliers
  • Pour fournir le temps de comprendre le volume conséquent d’information, de techniques et de méthodes
  • Proposer des études de cas « polémiques » et en apparence ambigües (différencier les syllogismes et sorites des sophismes et paralogismes)
  • Proposer des cas très rapides et concrets dans des domaines diversifiés (juridique, philosophique, publicitaire)
  • Développer la séquence d’enquêtes qui a été plébiscitée par les étudiants dans sa forme originelle en fournissant plusieurs voies au scénario (évènements conditionnels)

Christophe Béchade
Intervenant ESAIP depuis 2016, Enseignant associé IUT Angers, Consultant CéSaM

Bibliographie

[1] Bucaille, R., & Levenq, F. (CSEHS 2018). En quoi l’escape game ou jeu d’évasion pédagogique est-il un outil favorisant l’engagement des élèves dans l’apprentissage ?
[2] Carroll, L. (1966). Logique sans peine. Hermann.
[3] De Grandmont, N. (1989). La pédagogie du jeu : Jouer pour apprendre. Les éditions Logiques.
[4] Jussien, N. (2003). L’enseignement de la programmation logique à l’Ecole des Mines de Nantes. RSTI/hors série JFPLC.
[5] Karnaugh, M. (1953). The map method for synthesis of combinational logic circuits. Transactions of the AIEE.
[6] L’hospitalier, Y. (1998). Enigmes et jeux logiques. Eyrolles.
[7] Maison d’édition Space-Cowboys. (2014). Unlock. Asmodée Group.